Compte-rendu sur mon mémoire de recherches en arts plastiques, pratiques contemporaines.

 

Figurer/transfigurer l’apparaître : Transcendance de « l’à-part-être »

 

Ces cinq années de reprise d’études, en particulier ces deux années de Master de recherches, m’ont permis de faire le point quant à ma pratique artistique. Il m’a toujours été difficile de savoir situer ma propre pratique, de parler de ma démarche artistique car exposer et montrer mes créations s’est déjà en quelque sorte me mettre à nu.

Ce mémoire a été une possibilité et une tentative de réunir au plus près les motivations et les enjeux présents au sein de mes recherches plastiques. L’art a toujours été pour moi émancipateur mais également source de connaissances aussi diverses que variées. Il est le seul domaine qui s’ouvre à autant d’autres et ces connaissances resurgiront parfois, consciemment ou non, au gré de l’apparaître. Si Jean Dubuffet a voulu oublier son milieu social trop « cultivé », étant d’un milieu modeste, la connaissance, ou le savoir d’une manière générale, est pour moi ce qui peut éclairer, voire sauver. L’apparaître est le mot qui semble le mieux correspondre à l’entièreté de ma pratique dans le sens où il est pour moi une idée de liberté d’être, à travers le visible ou invisible. L’apparaître n’est pas figé, il laisse place au hasard, à ce qui peut advenir par accident ou non, inconsciemment ou non, maitrisé ou non. Il libère et dévoile les peurs et pensées enfouies, il fait état d’autant de situations désavouées, de désirs profonds, d’aspirations convoitées.

 

Les préoccupations de ma recherche sont axées sur l’aspect le plus souvent provisoire, changeant, de l’image et des facettes multiples de l’apparence qu’elle peut revêtir. Avec l’explosion des images virtuelles, l’image apparait fragilisée et sa vocation à perdurer est remise en question. D’une manière générale, dans notre rapport à l’image, nous avons ce sentiment d’être happé et souvent hypnotisé par un flux, qui empêche en quelque sorte une réflexion. Pourtant, à travers une seule image, réside la possibilité d’un voyage de l’œil et de l’esprit, une lecture multiple ou différentes, selon les regards qui ouvre un territoire à la pensée, par le biais du hasard, des médiums, de l’inconscient, de la rêverie ou de la divagation.

A la base, mon travail plastique s’appuie sur le hasard d’une tache d’encre, de projections d’encres, de la coulure mais aussi du trait, du dessin automatique, du gribouillis qui me servent de voies, de guides dans ma composition. J’exploite par la suite en fonction, de ce que je nommerai : des apparitions. J’attends, ou je recherche, que des contours façonnés par l’eau, ou des enchevêtrements de lignes, de formes, m’évoquent quelque chose, me parlent en quelque sorte. Mon approche n’est donc dans un but précis, dans la mesure où c’est le procédé qui influence le résultat. Il y a quelque chose de physique avant ce travail d’apparitions à travers les projections, coulures, des gestes qui sont ensuite rattrapés par les émotions, les pensées, à la recherche de quelque chose à faire surgir et souligner… L’image, elle, se construit petit à petit, comme un puzzle à reconstituer, un jeu de recherches de forme avec un souci de cohérence, selon les différentes apparitions progressives. Certains hasards sont plus porteurs ou inspirant que d’autres ; mais, dans cette recherche d’apparitions, quelque chose est latent, en suspend, qui est là sans être là, qui porte ou même transporte ; qu’il faut chercher ou creuser….

D’une manière générale, l’apparaître est une manifestation visible de quelque chose ou d’un fait inattendu et imprévisible à exploiter et explorer, par l’image, il se révèle à la fois dissimulation et revendication, révélation et destruction. Son immédiateté et son universalité révèle que notre appartenance au monde des images est plus importante que notre appartenance au monde des Idées. Par conséquent, l’image apparait comme un refuge ou une échappatoire dans un monde qui semble avoir oublié la magie, le sacré, et enterré profondément toute trace de primitivité au profit d’une contemporanéité insatisfaite et d’une volonté de progrès vorace. Pourtant, même si la société de masse la malmène et la surmène, l’image reste sans nul doute, l’éternel miroir de l’humanité et aussi des crises passées et à venir.

L’apparaître est universel et aussi atemporel. Il fait partie de la vie de l’être humain depuis des millénaires car ce dernier a toujours voulu trouver un sens et une signification par le biais de la figuration, d’un signifiant graphique, d’une empreinte, d’une trace, d’une forme, … aussi singulière soit-elle… De ce fait, l’image par l’apparaître matérialise et dématérialise et dans un contexte écologique sensible, toute trace, tout apparaitre se doit d’être léger, éphémère, émancipateur pour s’effacer doucement, ne plus être que souffle ou âme.

L’apparaître de l’image a donc un rapport avec un certain irréel grâce à son aura, sa magie et aussi son caractère esthétique. Aussi, à travers lui tout semble possible et l’être redevient humain. Par l’étincelle d’une forme, d’une tache, d’un trait, le regard cherche et trouve un secours, des réponses, du réconfort, du lien dans ce qui se présente à lui. Tout alors se métamorphose, prend vie, s’anime, se chasse et s’extirpe de son enveloppe et de ses pensées. Néanmoins, la menace du paraître le rend fugace et fuyant, l’apparaître s’offre au regard tandis que le paraître est travaillé, exposé, brandi… Il noie et étouffe le moindre signe et trace d’espoir de tout autre ailleurs. Le paraître uniformise, synthétise, standardise à outrance jusqu’à effacer toute trace d’apparaître.

A la fois naissance, commencement, et aussi spectre, vision, fantôme, l’apparaître prend naissance par le surgissement et l’étonnement, à travers un envoûtement de l’image et de son ressenti, à un instant donné. Il est à la fois médiateur et révélateur d’ombres et lumières, des fantômes et des monstres, du pesant comme du léger ; une tentative de renouer avec le primitif, le spontané, il est cette forme, ou bien cet informe, entre libération et fardeau, il est intuition et manque, comme une tentative de savoir, connaitre et aussi d’oublier ou de renier. Il est une recherche perpétuelle du sublime, ce sublime qui fait apparaitre et non paraitre, ce sublime qui fait cet état d’être dans toute sa noirceur et sa profondeur. L’apparaiître renvoie donc à l’idée d’une dimension irrationnelle, magique ou spirituelle. Pourtant cette forme fait autre chose qu’apparaitre, son devenir devient possible par le fait de prendre forme, et selon la façon dont il apparait aux autres regards. Tout ceci souligne, dans un certain sens, la façon dont l’individu cherche ou se recherche à travers l’image que ce soit par la superficialité, l’apparence ou la marginalité. Pour autant l’apparaître est fantasme, désir, pulsion, peur, angoisse, prémonition, illusion et tout œil qui plonge en lui ne sait pas dans quel monde il pourra basculer… L’apparaître est pourtant cet apaisement qui trouve un langage pour communiquer avec et via une image qui fait surface qui est captée et que l’on tente d’emprisonner. Mais l’apparaître est infidèle et indomptable : il continue en vain de s’animer à travers d’autres yeux et d’autres corps. Il tente laborieusement de continuer d’exister et trouver des échos sous forme de tache, trace ou marque. Car l’apparaître ne porte pas de voile ni de masque : il arrache l’individu de propre son corps et de son propre être. Il n’est pas une image toute faite, préfabriquée, prête à l’emploi : il s’invente, se développe et s’étend à l’infini.

Son attrait irrésistible et irrépressible entraine l’individu de tout son corps vers un ailleurs, un delà du réel qui le transporte et le transcende. Le créateur tente, à travers de multiples, voire secrètes, recherches pour retrouver ce monde de l’apparaître. Il crée sans cesse pour mettre en images un monde possible, son propre monde à travers une sorte d’acte d’humilité envers la matière qui s’ouvre à lui. Il tente de ranimer l’apparaître pour lui-même et aussi pour le monde. Souvent seul, le créateur lutte contre ses propres démons autant que la folie du monde et de l’existence. Celui qu’on dit fou n’est que le reflet des peurs et des incompréhensions d’un paraître qui se doit normal, normalisé et tranquillisé. Car l’apparaître attire autant la beauté que la laideur, l’immonde que le joli, le sublime que l’atroce, le contrôlé que l’incontrôlable, l’insoutenable que le tolérable ; l’apparaître n’a que faire des règles et des normes. Malgré le poids de l’histoire artistique, la sensibilité d’une couleur, d’un trait, d’une forme qui s’inscrit nous rappelle toujours à ce lien avec notre mère-image parfois malmenée et surmenée. Pourtant, dans le monde de la création, deux mondes parfois s’opposent, se font de l’ombre et on se retrouve perdu dans les nombreuses appellations et qualifications de l’art. Mais cet art qui se construit, reconstruit ou se réinvente par l’apparaître. Si on le laisse nous imprégner, son esthétique enrichit cette sensibilité, cet esprit critique, ou cette part poétique, présent en chacun de nous, afin d’améliorer notre connaissance du monde et de l’être humain.

 

L’apparaître est donc un pont à la fois vers l’inintelligible et la pensée qui se prête à toutes sortes de projections. Il ouvre de nouvelles perspectives de devenir possible des choses.

Il est pour moi autant ce poids qui me leste que ces ailes qui m’élève, il est en quelque sorte mon corps et mon esprit réunis : l’apparaître de l’à-part-être…

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