L’Artiste et sa santé mentale

L’Artiste et sa santé mentale
J’ai récemment écouté avec beaucoup d’intérêt le dernier épisode du podcast Dans le Secret des Dieux1 de Sylvain Bigot (du groupe MONOLITHE), consacré à la santé mentale dans la musique — en particulier dans les musiques extrêmes.
Nombre d’artistes indépendants souffrent, ou sont susceptibles de souffrir, de troubles psychiques au cours de leur vie. Même si le milieu musical a ses spécificités (création d’un groupe, organisation de concerts, composition, merchandising, relation au public, etc.), j’ai retrouvé de nombreuses similitudes avec ce que je vis en tant qu’artiste indépendante.
Je n’ai pas trouvé de recherches équivalentes concernant les arts visuels ou graphiques, mais on retrouve souvent la même image associée à certains artistes, peintres, plasticiens, créateurs… qualifiés de « fous », « torturés » ou encore d’« hystériques », comme si la souffrance était une étape nécessaire pour être reconnu comme un génie. Avec l’expérience et les années, je l’affirme et le réaffirmerai autant qu’il le faut : créer n’est pas souffrir !
La créativité est une ressource, un formidable stimulant pour le cerveau et pour bien d’autres domaines que l’art. C’est un outil essentiel, porteur de bien-être mental et psychique.
Bien sûr, certains artistes peuvent avoir des sensibilités particulières, des fragilités ou des traumatismes plus ou moins handicapants. Mais il me semble tout aussi important de questionner les facteurs extérieurs qui fragilisent leur santé mentale.

Facteurs aggravants et pression quotidienne
Et si les conditions de vie et de travail jouaient un rôle central dans ce mal-être ?
L’incertitude de l’avenir, les revenus irréguliers — qui placent souvent les artistes dans des situations précaires et compliquées — génèrent un stress quotidien et une grande vulnérabilité psychologique. Beaucoup cumulent des “petits boulots” pour survivre, ce qui empiète sur leur temps libre, leur repos et leur énergie. À force, cela mène à l’épuisement physique et psychique, les deux allant souvent de pair.
À cela s’ajoute la pression du regard social. Si la pandémie a redonné une certaine visibilité aux artistes, au quotidien, beaucoup continuent de s’interroger : quelle est mon utilité dans la société ?
Le métier d’artiste n’est pas toujours perçu comme un “vrai métier”. Quand un artiste n’est pas reconnu, vend peu ou pas du tout, il peut se sentir en décalage, voire comme un poids pour son entourage — surtout lorsqu’il dépend financièrement de lui. Cette image ronge peu à peu l’estime et la confiance en soi.
Certains cessent toute activité artistique, souvent pour des raisons financières. Mais arrêter n’est pas toujours simple : la création est intimement liée à l’identité personnelle. “Être artiste” n’est pas seulement exercer une profession : c’est y investir du temps, de l’énergie, des espoirs et de multiples stratégies. Lorsque la reconnaissance ne suit pas, l’impact sur l’estime de soi est profond, ouvrant la voie à des fragilités mentales parfois difficiles à surmonter.
Faire de son art un business ?
Je vois fleurir de plus en plus de propositions de coaching pour artistes, ainsi que des méthodes (souvent similaires) pour valoriser son art, éviter de se disperser, se démarquer et surtout : vendre.
Je connais beaucoup d’artistes, dans leur modeste atelier, qui ne veulent pas transformer leur passion en simple business. Pourtant, à l’ère des réseaux sociaux, il devient très compliqué d’exister autrement.
Certes, avoir des réseaux bien présentés, des descriptions d’œuvres percutantes, des photos de qualité, savoir jongler avec les algorithmes… tout cela se travaille.
Dans l’idéal, il est recommandé de consacrer 20 à 30 % de son temps à gérer son “entreprise” — car oui, c’en est une.
Mais pour avoir une chance de vivre de son art, il faut souvent sacrifier du temps de création. De quoi se perdre — et parfois y perdre sa santé mentale.
Je suis résignée : c’est ainsi que va le monde, et cela vaut pour bien d’autres métiers créatifs, dont la musique.

Et moi, et moi, et moi ?
Ma santé mentale a souvent été mise à rude épreuve.
Comme un cheval au galop, j’ai connu une période où j’avais besoin de montrer ma productivité et ma créativité, mais aussi de prouver que je travaillais.
Je pensais que poster une création par jour sensibiliserait mon public tout en améliorant ma visibilité auprès de l’algorithme.
Absolument pas ! C’est un piège. Les réseaux sociaux mettent surtout en avant ce qui est tendance.
Et vous voulez une confidence ?
L’art n’est pas dans l’air du temps, ni dans le quotidien de tous.
Une banane accrochée à un mur fera toujours plus le buzz qu’une toile de paysage…
Je ne suis pas à la mode, c’est un fait.
Mais s’épuiser psychologiquement à produire pour ne pas tomber dans l’oubli finit par peser lourdement sur le moral et sur l’estime de soi.


Les réseaux sociaux : entre vitrine et piège
Les réseaux sociaux sont de formidables outils de partages et de visibilités mais ils contraignent trop les artistes à être compétitifs, à rester attentifs aux tendances et au marché.
Les créations des artistes deviennent alors des produits de consommation. L’art n’y échappe pas, et les produits dérivés ont encore de beaux jours devant eux. Cela peut être une source de revenus intéressante, permettant d’acquérir une œuvre à un prix plus abordable — écologiquement ce n’est pas un modèle pour lequel j’ai envie d’opter.
Mais rester attentif à tout ce qui se passe dans le monde et vouloir s’engager peut aussi mettre à mal certaines personnes, surtout si elles ne maîtrisent pas les sujets ou n’ont pas l’énergie pour un engagement durable.
Le danger d’agir pour “être dans la tendance” peut s’avérer destructeur.
Prendre soin de soi dans ce monde de brutes
Je me sens souvent en décalage — et désormais, je vis avec cette idée. Mieux encore : je la cultive.
Oscar Wilde nous l’a soufflé :
“Soyez vous-même : les autres sont déjà pris.”
Au-delà de la créativité, apprendre, rester curieux, ouvert aux autres et au monde sont autant de façons de protéger sa santé mentale.
J’écris donc des articles (disponible sur mon site ou mon blog) sur les sujets qui m’inspirent et qui me tiennent à cœur. Lectrice compulsive, j’aime les mots, j’aime écrire. J’aime aussi prendre des photos, pour me connecter à ce qui vit, à ce qui est. Elles deviennent parfois des sources d’inspiration. J’aime sortir, aller me promner avec mon chien, les concerts,… Et, grâce à mon podcast, chaine YouTube et blog, concept que j’ai appelé Antrevoies : je cultive la résonance.
J’aime ce qui fait écho et nourrit ma créativité — c’est un véritable mode de survie pour moi dans ce monde qui me dépasse mais dans lequel je dois vivre.
Mais : un artiste qui s’éparpille n’est pas toujours perçu comme vendeur.
Il peut sembler instable, ou donner l’image de quelqu’un qui ne va pas au fond des choses.
Mais en réalité, il emprunte simplement des chemins détournés pour mieux appréhender le monde.
Et pour cela, il faut trébucher, revenir en arrière, contourner, se planter — mais surtout, continuer.

Créer librement pour rester vivant
Brider sa créativité, c’est prendre le risque de devenir un artiste sous contrainte, alors que l’art se veut un espace de liberté.
Brider cette créativité engendre un mal-être — il m’a fallu du temps pour le comprendre.
Ce qui affecte encore ma santé mentale, c’est le découragement :
le sentiment que d’autres savent mieux que moi ce qu’il faut faire, gèrent mieux, sont plus visibles, plus appréciés, vendent et exposent davantage… Le syndrome de Caliméro, en somme — inutile et stérile. Je suis convaincue : toutes les formes d’art peuvent aider quelqu’un ! L’art sauve et la musique, l’art et tous ces créateurs fabuleux passés ou actuels aident à trouver du sens… Je remercie les personnes qui réagissent à mon travail : c’est précieux pour moi.
Encore une fois, la réalité des images ne montre pas tout. Ce que les réseaux sociaux donnent à voir est souvent idéalisé. Derrière l’écran, nul ne sait ce que vit réellement la personne.
Les réseaux sociaux sont une vitrine : se montrer sous son meilleur jour, c’est bien : Être vrai et en accord avec soi-même, c’est mieux ! (on dirait une phrase banale tirée du développement personnel mais c’est ainsi que je le ressens)
Créer pour soi, pas pour l’algorithme
Comme j’ai du mal à trouver des lieux d’exposition et en parallèle à vendre, j’ai testé différentes choses pour me prouver que j’étais capable de faire des choses et surtout : sortir de ma zone de confort.
J’ai fait appel à une personne pour me coacher et faire le point sur mon parcours, ce fut porteur mais il me reste encore de la pratique à mettre en œuvre. Je vais à mon rythme, mais surtout, j’essaie de suivre le chemin que j’ai envie de tracer — loin de la facilité et des tendances.
J’essaye de faire en sorte que les différentes approches que je développe se recoupent et résonnent entre elles et dans mon travail.
Résultat : j’ai gagné en estime de moi grâce à mon podcast, mes articles, le partage de mes écrits et de mes vidéos. Je ne fais pas des dizaines de vues ni d’écoutes, mais les sujets que je choisis me tiennent à cœur. Ils me permettent de garder une trace, un journal de bord des choses qui m’ont marquée et fait grandir à un instant T. Je ne suis pas régulière, car je privilégie les périodes où j’ai besoin de créer — mais cela me permet de ne plus m’épuiser.

Conclusion
Artiste ou non, créatif ou non, la santé mentale est un cheminement fait de détours. Se faire accompagner est important lorsqu’on n’y voit plus clair. Être écoutée, entendue et demander de l’aide fait partie aussi de ce cheminement qui n’a pas besoin de rester solitaire. (C’est là que les réseaux sociaux peuvent être un soutien)
Une seule vie nous est donnée pour tout accomplir ; j’ai la chance de pouvoir mener un projet dans sa globalité.
Le temps me dira si j’ai eu raison de persévérer dans la voie que j’ai choisie depuis 20 ans.
Créer, c’est avant tout une manière de se connaître, de se relier à soi et au monde.
C’est choisir la liberté plutôt que la conformité, la sincérité plutôt que la performance.
Car au fond, créer n’est pas souffrir — c’est rester vivant.
Il appartient à chacun de prendre soin de sa santé mentale, à sa manière, et éviter de se perdre dans le bruit du monde.